Actualité politique en Belgique.
« Le Soir » - Opinions (extraits) des quelques personnalités de la société civile francophones sur leur perception de la crise politique :
Décodage avec Marc Jacquemain, professeur de sociologie et président du centre d’étude de l’opinion à l’Université de Liège.
En 2007, les gens arboraient des drapeaux belges aux fenêtres. Plus maintenant. Est-ce le sentiments qui est en perte de vitesse. Ou l’inquiétude qui est moins grande ?
Si on met à part le cas de Bruxelles, il faut rappeler qu’il n’y a pas en Wallonie de sentiments « belgicain ». Toutes nos enquêtes montrent que la fierté d’être Wallon et la fierté d’être Belge ne sont pas des sentiments en compétition contrairement à la Flandre.
Les Wallons sont dans leur majorité favorables au maintien de la Belgique, mais cela ne s’accompagne pas d’un sentiments national et il y a un certain scepticisme à l’idée que la Belgique puisse disparaître. Les gens sont surtout dans l’expectative.
Et sereins ?
Parce qu’un phénomène d’accoutumance s’observe. Il y a une différence entre l’absence de gouvernement tel que cela peut être évalué par les acteurs politiques et médiatiques et ce que vivent les gens au quotidien. Pour la plupart d’entre eux, l’absen ce de gouvernement fédéral n’as pas d’incidence directe dans leur vie. Ils n’ont pas l’impression que cela remet en cause leur projets personnels et des dispositifs essentiels comme la sécurité social par exemple. Ils n’imaginent pas non plus qu’en cas de crise majeure, le gouvernement est donc quelque chose d’assez abstrait d’autant qu’ils ont d’autres niveaux de pouvoir qui fonctionnent, ceux de la Région Wallonne et de le communauté française.
On ne ressent pas donc le vide du pouvoir…
Non, on est dans un système multicouches. Il y a l’Europe, le fédéral, les Régions, les communes. Les fédéral est compris comme une instance de décision parmi d’autres. Les sentiment d’urgence va se manifester quand l’absence de gouvernement produira un impact clair sur le vide des gens. Ce n’est pas encore le cas y compris au niveau des marchés financiers. On n’a pas encore l’impression de vivre une crise comme en Grèce.
Les enjeux de ces négociations sont-ils bien compris ? ou en reste t-on aux réflexions selon lesquelles les questions communautaires sont une invention des politiques qui se chamaillent ?
Je ne suis pas sûr que les subtilités sur BHV soient bien comprises mais je pense que l’idée de l’existence d’un affrontement entre deux logiques d’intérêts l’est. Même si cela s’imprime encore sur en fond d’antipolitisme du genre « les politiques n’ont qu’a s’entendre », les gens viennent de comprendre que les francophones et les flamands ont des intérêts divergents. Que les flamands soutiennent leurs hommes politiques comme nous soutenons les nôtres.
Cela peut-il créer un sentiments anti-flamand ?
Ce qui se passe ne crée pas un sentiments anti-flamand mais radicalise un certain nombre sur la conviction que nous avons raison et les autres tort. On voit aussi paradoxalement plus des gens intéressés aussi à s’informer, écouter le point de vue de l‘autre. Mais cela reste une démarche d’intellectuels.
Doit-on s’attendre à une explosion de l’antipolitisme si l’on devait revoter ?
Je ne suis pas convaincu du tout. Une partie de l’antipolitisme s’explique par l’opacité du compromis à la belge. Or on n’est plus dans cette logique.
Les positions se sont clarifiées et on est désormais dans une logique du bloc contre bloc. S’il devait y avoir des élections, elles s’inscriraient dans cette logique. On aurait un vote qui confirmerait le précédent. Des deux côtés, les gens vont voter pour se rassurer et se chercher des protecteurs.
Propos recueillis par
M. Vandemeulebroucke
Anne Morelli
Historienne, professeur à L’ULB
« La situation politique me scandalise. Nous sommes dans un vaste déni de démocratie. Les plus récents sondages, y compris en Flandres, disent clairement qu’une majorité de la population est pour le maintien de la Belgique. Or, on nous pousse de gré ou de force à une scission. On ne tient pas absolument compte de l’avis des citoyens. Je comprends tout à fait que les gens deviennent de plus en plus méfiant vis à vis de la classe politique. Je ne suis pas non plus optimiste pour l’avenir. J’ai suivi de près la guerre en Yougoslavie. Avant qu’elle ne débute, les gens étaient convaincus qu’une guerre entre eux était impossible, qu’ils étaient trop mélangés pour cela. Mais on ne sait jamais ce qui peut se produire. Il suffit d’influencer un peu l’opinion publique pour faire monter le nationalisme, qui porte toujours en lui la violence. On n’est pas assez attentif, il y a trop de violence verbale. On parle des « Flamands », des « Wallons », des « Bruxellois », on nous enferme dans des catégories, et je ne me reconnais dans aucune d’elles »
A. D., ST.
Gabriel Ringlet
Théologien et essayiste, ancien vice-recteur puis pro-recteur de l’UCL
« Je suis inquiet. C’est une inquiétude assez fondamentale parce que je me dis que ceux qui sont en train d’en faire le frais, ce sont les gens les plus en difficulté, ce sont le plus démunis. Car si l’on ne met pas l’accent sur les questions économiques et les questions sociales : qui va payer la facture la plus lourde ? Y compris en Flandre ?…Car s’il y a aussi une pauvreté flamande, qui n’échappera pas à cet égoïsme-là.
J’ose espérer une déchirure salvatrice au sein du CD&V. On a vu ces derniers jours que les tensions étaient réelles à l’intérieur du parti, qu’il y avait plusieurs lectures. Laquelle va l’importer ? Est ce la tendance qui se radicalise ? je pense qu’elle emportera le CD&V lui même avec elle. Est-ce qu’on peut imaginer que d’une déchirure naisse un mieux, qui a la fois permette un vrai compromis et en même temps donne un avenir beaucoup plus ouvert à ce parti ?
Les artistes flamands ont posé un geste symbolique il y a quelque mois. On a tenté d’y répondre côté francophone, en protestant contre ce repli sur soi. Il est grand temps que cet appel s’élargisse, que d’autres secteurs de la société civile s’y joigne. Je me réjouirais encore beaucoup plus si cette protestation réunissait le pays. Ce qui n’empêche absolument pas de respecter les différences : on peut avoir des sensibilités différents et, en même temps, vouloir encore un avenir. »
W.B.
Jaco Van Dormael
Cinéaste
« Je suis profondément choqué. Pour moi, le processus démocratique, c’est que je vote pour des gens en leur donnant pour mission de se mettre d’accord avec ceux qui représentent des gens qui ne pensent pas comme moi. La responsabilité des politiques, c’est de se mettre d’accord. C’est leur mission. En cas d’échec de la mission politique, je serais pour la démocratie directe, pour une consultation populaire, pour connaître d’une autre manière que pour le vote ce que les gens pensent et veulent vraiment.
Mais ici, la responsabilité des électeurs est également engagées. On revient à une époque où l’on vote de plus en plus pour des discours simplificateurs. Or, dans le contexte, il n’y a pas des réponses simples. On vit par ailleurs une sorte de révolte des riches contre les pauvres, alors qu’au XIX s et au XX siècle, on a vécu une révolte des pauvres contre les riches. C’est la fin des utopies ; le cynisme, la farce, devienne une valeur. C’est ce qui était formidable en Belgique : cette utopie de ressembler les contraires. »
W.B.
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